Jean-Marie Delarue : « Concrètement, cela signifie que la lutte n’est pas contre l’extrémisme, mais contre la religion elle-même »
Union européenne« Les Témoins de Jéhovah en France sont des citoyens comme les autres. Il n’y a aucune raison de penser autrement. Certaines de leurs croyances leur sont propres. Mais ces croyances ne sont pas en contradiction avec les valeurs de la République française et ne sont pas en conflit avec les enseignements des autres religions qui existent en France. Je tiens à souligner que la France a toujours été un pays multiconfessionnel, et encore plus aujourd’hui. Nous sommes un État laïc, et il n’est pas toujours facile pour les pays étrangers de le comprendre. C’est-à-dire que nous partons du fait que chacun est libre de croire ce qu’il veut, et que l’État ne s’immisce pas dans les affaires religieuses. Par conséquent, nous pouvons coexister pacifiquement. Le gouvernement n’impose pas son idéologie, et les religions, à leur tour, ne se dominent pas les unes les autres. C’est pourquoi, je pense et j’espère, les Témoins de Jéhovah peuvent pratiquer leur foi d’une manière acceptable sans troubler l’ordre public. Mais jusqu’à présent, ils n’ont jamais été vus dans de telles violations.
Je crois qu’une société démocratique doit définir clairement ce que signifie violer l’ordre public, nuire à l’intérêt commun. Un pays démocratique peut blâmer et condamner quelqu’un en termes clairs. L’extrémisme est un concept obscur. Chacun d’entre nous sera toujours un « extrémiste » pour quelqu’un. Il y a une diversité politique en France, et les opinions peuvent aller de l’extrême gauche à l’extrême droite. Cela signifie-t-il que les personnes qui ont des opinions opposées sont des extrémistes qui violent l’ordre public ? Absolument pas. L’ordre public est violé par quelqu’un qui cause des dommages aux biens ou aux personnes, par exemple dans les lieux publics. Nous savons tous à quoi cela ressemble. Mais le concept d'« extrémisme » n’a pas de sens pour moi s’il n’inclut pas des actions spécifiques qui peuvent être qualifiées d’extrémisme. Pour cette raison, s’ils essaient d’assujettir les Témoins de Jéhovah à cette loi, alors le concept d'"extrémisme » ne s’applique pas dans ce cas.
Peut-être la loi sur l’extrémisme est-elle un moyen de faire comprendre aux groupes religieux, qu’il s’agisse des Témoins de Jéhovah ou de quelqu’un d’autre, qu’ils doivent obéir à cette loi sans clarifier les concepts ni apporter aucune clarification. Dans ce cas, en pratique, cela signifie que la lutte n’est pas contre l’extrémisme, mais contre la religion elle-même. Par conséquent, le principe qui sous-tend les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est violé. Les deux documents contiennent un article qui définit clairement la liberté de conscience et de religion. Selon le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la liberté de conscience et de religion est inconditionnelle. La Convention européenne des droits de l’homme stipule que cette liberté peut être restreinte si l’ordre public est atteint. Un juge russe devrait tenir compte du fait que si le fait de la violation de l’ordre public n’est pas prouvé, alors les Témoins de Jéhovah sont persécutés pour des raisons complètement différentes - ils sont persécutés en tant que religion. Dans ce cas, nous ignorons la liberté fondamentale inscrite dans les lois internationales les plus importantes. Je voudrais que vous persuadiez la Cour suprême, qui est obligée de statuer sur l’affaire, de peser soigneusement deux conditions : d’une part, le fait de porter atteinte à l’ordre public et, d’autre part, la liberté de religion est un droit fondamental qui ne peut être retiré sans conséquences graves.
Jean-Marie Delarue, conseiller d’État, ancien directeur des libertés publiques au ministère de l’Intérieur.